Anorexie, boulimie, compulsions alimentaires : l'association peut vous aider à voir les choses Autrement

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Alimentation de l'adolescent


Pr D. RIGAUD - Président d'Autrement

1. Le contexte psychologique

L’adolescence est un passage obligé mais difficile. Il faut quitter l’enfance et s’ouvrir à l’âge adulte. L’adolescent s’y sent plus ou moins bien préparé.

L’adolescence est aussi une période pendant laquelle on se met volontiers en danger : on est « grand » et il s’agit de le prouver. C’est l’époque des défis, des remises en question et du refus des schémas parentaux. Soirées arrosées, sorties tard la nuit, essai de substances addictives, alcoolisation avec les pairs, tout est bon pour convaincre qu’on n’est plus cet « enfant attardé » qui campe chez ses parents ! Bien sûr, tout ceci n’est que le cadre dans lequel s’inscrit l’adolescence. Il est des adolescences qui se passent très bien, alors que d’autres sont une phase où surviennent des accidents de parcours sérieux ou même graves.

L’adolescence, pour le dire autrement, est une période où le cadre familial est l’objet d’une attaque en règle : « je ne suis plus un gamin », « je ne suis plus une petite fille » sont des propos que tous les parents entendent, à cet âge, de la part de leur enfant. La raison subconsciente de cet état de fait est que l’adolescent a besoin de faire des choses hors cadre pour pouvoir partir. Pour partir en effet, il faut rompre et trouver que ce qu’on vit avec ses parents, si gentils et ouverts soient-ils, n’est plus acceptable, plus supportable. Il faut aller voir ailleurs. D’un point de vue anthropologique, il faut trancher le lien avec ses parents, pour ne pas avoir à affronter l’inceste et la consanguinité. Ces « valeurs cachées » (selon Cl Levy-Strauss) sont la base d’un fonctionnement de rupture avec la famille. C’est vrai chez les loups comme chez les gorilles, c’est vrai chez les humains.

L’adolescence est aussi une période de fragilité : on entre dans la cour des grands… mais on n’y est pas toujours préparé. Que dire par exemple de cette fille qui voit à 12-13 ans lui pousser une forte poitrine et qui sent bien le regard appuyé des garçons (ou pire des hommes adultes), et cette lueur qui s’allume à son passage. Que dire aussi à cette jeune fille qui a des douleurs marquées au moment de ses premières règles, elle qui a été surprise et plutôt peu accompagnée et qui entend sa mère lui dire que c’est normal : « c’est ça les règles » !

Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que l’alimentation des adolescents suivent le cours de ces modifications et changements de comportements. L’alimentation devient ainsi une autre langue, avec laquelle l’adolescent exprime ses doutes, ses rejets, ses interrogations, ses refus et son besoin d’aller de l’avant, de s’autonomiser.

2. Les repas

anorexie_petit_dejeuner.jpg L’adolescence est une période pendant laquelle on a du mal à respecter le cadre familial : « vient à table, tu n’entends pas quand on t’appelle » est sûrement une phrase que beaucoup de parents partagent. Le petit déjeuner, sacro-saint jusque là dans beaucoup de familles, explose : l’adolescent dit soudain qu’il n’a pas le temps, qu’il n’a pas faim, que c’est « nul ». C’est de sa part l’expression d’une transgression. C’est entre autre parce qu’il est confronté au fait qu’il doit (pense-t-il), pour quitter ses parents un jour, avoir abandonné les modèles de son enfance. Les adolescents, en particulier les garçons, rejettent plus souvent que les gens d’autres tranches d’âge le petit déjeuner, surtout s’ils se lèvent tard.

Dans une étude réalisée en Côte D’or, nous avions noté que seuls 68 % des adolescents prenaient tous les jours un petit déjeuner (contre 83 % dans la population générale), que 33 % prenait un vrai petit déjeuner, que 82-84 % prennent un déjeuner et un diner tous les jours. Parmi eux, 14 % (petit déjeuner) et 1-131 % (déjeuner et diner) prenaient ce repas presque tous les jours. Enfin, nous avions noté que 17 %, 8 % et 5 % respectivement ne prenaient jamais ou presque jamais de petit déjeuner, déjeuner et diner.

Chez les adolescentes et adolescents, l’alimentation a tendance à se déstructurer un peu : moins de repas, moins de temps pour le faire, plus de prises alimentaires « à n’importe quelle heure », en particulier en soirée.

3. Les apports alimentaires

Alors que les filles grandissent (la vitesse de croissance s’accélère) et que les cycles menstruels apparaissent (du sang est perdu), l’adolescence est une période où les filles réduisent leur consommation de viande (protéines, fer) et de laitage (protéines, calcium). Il y a là un paradoxe que rien de physiologique ne vient expliquer. Sans doute est-ce une peur de grandir, de devenir adulte, du sang qui coule, de la viande qui fait grandir !
Globalement, une différenciation sexuelle s’opère à ce stade, les filles mangeant plutôt un peu moins énergétique qu’avant et les garçons plutôt un peu plus.
Chez la fille, l’alimentation qui était réglée de façon assez simple et constante, devient fonction, en partie, des cycles menstruels : un peu plus de protéines en début de cycle et un peu plus de lipides et glucides en fin de cycles. De plus, l’IMC et la masse grasse augmentent, alors que la fille ne mange pas plus (pas plus gras et pas plus énergétique) qu’avant. Cet illogisme, qui s’inscrit dans un programme génétique, n’est pas toujours accepté de la part des adolescentes. Les appétits augmentent, y compris les appétits alimentaires. Ils prennent plus d’importance, comme l’appétit sexuel qui va se développer ensuite.

L’apport en calcium diminue dans les deux sexes, alors que les besoins physiologiques en calcium augmentent (ostéogénèse liée à la croissance). Ceci est entre autre lié à une diminution de la consommation de lait. Il faut donc insister pour que les adolescents, notamment les filles, consomment régulièrement un peu de fromage, par exemple à pâte dure (40 g apportent 200 à 300 mg, pour des besoins quotidiens de l’ordre de 1000 [garçon] à 1200 mg [fille]).

4. Quand s’inquiéter ? L'émergence d'un trouble du comportement alimentaire

La question qui se pose au médecin est la suivante : « à partir de quand le médecin doit-il s’inquiéter face à un comportement alimentaire déviant chez un adolescent ? ». Quels signes doivent-ils alarmer le médecin face à ce régime pour maigrir, face à ces compulsions alimentaires ? La réponse ne tient pas en quelques lignes. Le mot clé pour intervenir est « trouble ». Il importe que le médecin repérer le mal-être, le trouble qui altère l’humeur de l’adolescent. Il faut que le médecin se rende compte de cette opacité (« je ne sais pas ce qui m’arrive ») et de ce manque de confiance qu’ont les malades. En effet, il faut distinguer ce qui est une perturbation ou une transgression banale de ce qui est déjà un trouble du comportement alimentaire. Le médecin doit se repérer à l’angoisse, à une tendance dépressive et s’interroger sur le climat familial.

Le médecin doit s’appuyer sur la sémiologie :

L’anorexie mentale (AM), c’est une peur irrépressible de grossir, alors que le poids est bas (minceur) voire très bas (maigreur, dénutrition). Il faut alors intervenir tôt, avant même qu’il y ait des signes biologiques de dénutrition (ils sont en effet beaucoup trop tardifs). L’aménorrhée, la fixité des expressions du visage, le mal-être (qu’on voit bien si l’on y fait attention) sont autant de signes qu’il faut dépister.

La boulimie (B), c’est la succession, au moins deux fois par semaine de crises compulsives alimentaires entrecoupées de vomissements provoqués, tant il est absolument indispensable à la malade de s’en débarrasser de la crise qu’elle vient de faire. La malade refuse absolument de grossir et son poids est normal. Il faut alors être à l’écoute de la plainte, toujours indirecte, car l’adolescente n’avoue pas facilement qu’elle fait ce qu’elle déteste le plus, à savoir « criser » et vomir après ! Le gonflement des parotides et des glandes salivaires, quand il est présent, est utile au diagnostic. Des troubles des règles menstruelles, une plainte par rapport au poids (qui varie sans arrêt) ou l’expression d’une fatigue, d’un manque de concentration peuvent aider.

La compulsion alimentaire-maladie (C), c’est la succession, au moins deux fois par semaine, de crises compulsives alimentaires pendant lesquelles il n’y a pas de vomissement. Les adolescentes grossissent alors, ce qui les perturbe. Dans ce cas, comme pour la boulimie, l’adolescent ne reconnait pas volontiers qu’il fait des crises : il faut donc s’aider en interprétant des propos banals : « un rien et je grossis », « mon poids varie, c’est à n’y rien comprendre », « je ne peux pas manger du tout »…
L’Anorexie mentale touche environ 1,5 %, la boulimie environ 3 % et la  compulsion environ 5-6 % des adolescentes et respectivement 0,05 % (AM), 0,1 % (B) et 2 % (C) des garçons de 12 à 20 ans.

Un dernier problème qu’il faut connaître est la pulsion alcoolique (« binge drinking »). Il s’agit d’un besoin compulsif de boire des quantités importantes, souvent très excessives d’alcool, au cours souvent de soirées « organisées », où les participants mélangent l’alcool et les drogues (LSD, haschich, voire cocaïne…). Ce comportement entraine des risques immédiats pour la personne, mais aussi pour ses proches : agression sexuelle, accident de la route, coma, hyponatrémie sévère, acidose lactique…

Publié en 2011