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Comportement alimentaire


Pr D. RIGAUD - Président d'Autrement (Dijon)

1. Comportement alimentaire : définitions

Le comportement alimentaire est un ensemble d’actions coordonnées qui aboutit à la prise alimentaire et qui est relié à une ou des pensées sous-jacentes. Ces pensées sont de nature émotionnelle ou cognitive. Le comportement n’est donc ni une habitude ni une conduite.

2. Bases physiologiques

La prise alimentaire demande non seulement des actions coordonnées, mais encore une motivation.

La prise alimentaire est régulée par un ensemble de facteurs métaboliques (énergétiques), d’hormones périphériques (peptides hormonaux, neuropeptides, catécholamines) et de neuromédiateurs centraux. Les signaux en sont la faim, le rassasiement et la satiété.

Le comportement alimentaire est modulé (mais pas régulé) par un ensemble de facteurs, les uns positifs (stimulateurs ou incitateurs) et les autres négatifs (inhibiteurs ou répressifs). Ces signaux sont d’ordre sensitif : émotionnels ou sensoriels. Ces signaux sont d’origine interne ou externe (registre interne et registre externe).

2.1. Concepts

La fonction d’alimentation, fonction vitale, a été pourvue de valeurs ajoutées qui la rendent « désirable » : ce désir est d’ordre sensoriel et émotionnel (valeur affective et sociale).

a) Valeur hédonique sensorielle : les 5 appareils sensoriels (oreilles, nez, langue, lèvres et palais, yeux) sont impliqués dans le comportement alimentaire :

1- l’audition par le bruit des aliments à distance (qui cuisent) et en bouche (qui craquent)
2- l’olfaction joue un rôle à distance (cellules olfactives antérieures, très sensibles) et en bouche (cellules olfactives postérieures, moins sensibles mais plus stimulées) ;
3- La vision : couleur, aspect (inclus celui de l’emballage), forme
4- le toucher (lèvres, langue, palais) : craquant, moelleux…
5- le goût : sucré, acide, amer, mais aussi, moins précis, pour les protéines et les graisses,

Notez que tous ces appareils sensoriels sont situés près ou dans la bouche. Chacun donne une valence hédonique (plaisir) aux aliments mis en bouche. Ces valeurs sont intégrées (compilées).

b) Valeur hédonique émotionnelle : la personne (l’animal) a plus de plaisir à manger en groupe, notamment avec les personnes qu’il aime et qui l’aiment, que seule. Les aliments sont jugés comme meilleurs s’ils sont mangés en famille, entre copains…. Cet aspect émotionnel se met en place très tôt, dès la naissance, dans les premiers contacts avec la mère. Donc, en même temps que le nourrisson « se remplit », il met en mémoire une charge affective qu’il associe à l’alimentation. Sa relation avec la mère nourrissante permet la mise en place chez le nourrisson de la triangulation : désir, plaisir et manque, autour d’un liquide (le lait) qui comble (l’estomac et l’hypoglycémie). La compulsion alimentaire et la boulimie sont des retours à cet état.

2.2. Les registres

Il y a donc un registre interne qui apprécie l’état nutritionnel global et un registre externe qui connecte ceci avec les contingences liées à l’environnement.

Le sujet donne une valeur, met en mémoire et intègre les données émanant de ces registres :

  • Registre interne : ces facteurs sont ceux de la régulation de la prise alimentaire : glycémie et glycocytie cérébrale (hypothalamique), niveau des réserves énergétiques immédiatement mobilisables et celles mobilisables à plus long terme, état du tube digestif (plénitude, nausée….).
  • Registre externe : les facteurs en question sont de nature sociétale et sociale, d’ordre religieux ou symbolique, en rapport avec un besoin d’appartenance. Il en découle 2 notions :

Manger est un langage non verbal, à travers lequel on communique avec autrui : « comment tu manges me dit qui tu es ». La manière dont nous mangeons nous donne une « carte d’identité ».

Manger est appris : la régulation des besoins en eau, en glucides, en énergie et en sel est biologique et innée (un nourrisson sait réguler son bilan d’énergie). En revanche, la manière dont nous mangeons (cuisine, horaire, fréquence, succession des plats, type de plats et d’aliments) est totalement appris.

On en déduit les points suivants :

  1. Le mangeur se positionne en fonction de valeurs symboliques qu’il connait bien ou mal (il les a plus ou moins bien identifiés) : il rejettera ou accueillera positivement un aliment à valeur religieuse selon son sentiment d’appartenance à ce clan. Il en est de même pour les conduites à valeur sociales comme le « fast-food ». Le mangeur se positionnera en fonction d’autres facteurs non alimentaires : un adolescent peut avoir des conduites alimentaires et alcooliques à risque pour « faire bien » face à ses pairs ou pour provoquer ses parents.
     
  2. Le mangeur se positionne en fonction de la valeur attribuée à la silhouette dans le monde dans lequel il évolue : dans un monde où être gros est signe de richesse, il « faut » être gros. Dans un monde où ce sont les minces qui dominent (nos sociétés et ses médias), il faut avoir une silhouette fine voire être maigre. Il y a donc, dans une société donnée, une valeur de référence pour le poids et la silhouette des gens, valeur qui ne dépend aucunement du sujet (il la subit).
     
  3. Le mangeur se positionne en fonction de notes affectives qu’il ne contrôle pas : selon qu’il s’est senti aimé ou non par sa mère par exemple, selon ce que son père lui a dit de son corps…
     
  4. Enfin, le mangeur se positionne en fonction de traumatismes qu’il a subis et dont il n’a pas toujours apprécié l’importance : traumatisme sexuel, identité sexuelle, harcèlement physique ou mental, accident de santé grave ou jugé grave… (gastro-entérite suite à l’ingestion d’un plat).

3. Les bases comportementales

Aspects sociaux : La table (à manger) est un lieu d’échanges, que ce soit dans la famille biologique, dans la famille d’accueil (le groupe) ou dans la famille qu’on s’est créée. La table soude la famille et permet de se définir en fonction d’elle : mon père, ma mère, mon frère… ce sont ces gens avec qui j’ai toujours mangé (vs les frères et sœurs avec lesquels on ne vit pas).

Le système est modulé assez finement : « il n’y a pas de loup obèse », pour peu que les facteurs inhibiteurs (la difficulté de la chasse, de l’approvisionnement) soient de même ordre de grandeur que les facteurs stimulateurs (incitateurs). Dans le cas contraire (société de consommation), on augmente le risque d’être obèse : accès facile, stimulations sensorielles… Il faut donc identifier les facteurs incitateurs et inhibiteurs du comportement alimentaire du sujet.

Manger est la seule fonction vitale partagée.

Aspects hédoniques : La relation au plaisir module le comportement alimentaire (anorexie mentale, état dépressif, gourmand et compulsif). Meilleur c’est et plus l’on mange ; Plus varié c’est et plus l’on mange (« zapping alimentaire ») ; Manger est aussi se donner le droit au plaisir, sans culpabilité.

Aspects émotionnels : L’alimentation module l’humeur. Donc manger est une manière de contrôler ses émotions :

  • L’anxiété pousse les animaux à manger,
  • Le stress chronique (de petits facteurs stresseurs répétitifs) pousse à accroître le nombre et l’importance des prises alimentaires, pour « gérer » l’anxiété,
  • Manger améliore l’humeur : en mangeant du sucré-gras, le sujet libère tyrosine et tryptophane de leurs transporteurs (vs acides aminés aromatiques). De ce fait, on en favorise le passage, via le noyau arqué, vers le système limbique, où sont synthétisés Dopamine (précurseur tyrosine) et sérotonine (précurseur tryptophane).

4. Les troubles associés à la restriction alimentaire

Le modèle d’Ancel KEYS (USA, 1945) : Ce scientifique a pris 36 volontaires sains de corps et d’esprit et les a mis sous régime hypocalorique sévère et déséquilibré (surtout légumes verts, fruits, peu de viande et de laitage) et leur a demandé d’augmenter leur activité physique. Tous l’ont fait. Après 3 mois, ils avaient perdu 18 kg et avaient différents troubles :
Troubles du sommeil ; Troubles de l’humeur : humeur instable, labile, état dépressif ; Troubles relationnels : conflits avec autrui, colères immotivées ; Troubles obsessionnels : vis-à-vis de l’alimentation, mais pas seulement ; Troubles sexuels et mise en doute de l’image de soi (perte d’estime de soi) ; Troubles de concentration : mémoire active, capacités à faire des liens ; Troubles du comportement alimentaire : rituels, découpage en petits morceaux, potomanie… et à terme crises compulsives alimentaires ; Hyperactivité physique et psychique (d’où troubles du sommeil) et phases pseudo-maniaques.
Le pire est qu’il a fallu à certains 6 à 24 mois pour retrouver l’état psychique antérieur.

5. Conclusion

Un régime pour maigrir (ou pour grossir) n’est jamais une prescription simple et facile à suivre. Il faut infléchir le comportement alimentaire, ce qui n’est ni aisé ni immédiat. Ce dernier est fonction d’éléments incitateurs et inhibiteurs qu’il faut mobiliser. Il faut craindre les effets délétères possibles de la restriction « cognitive » sur l’équilibre psychologique.

Publié en 2011