Dr Mouna HANACHI-GUIDOUM
AP-HP Hôpital R. Poincaré, Unité de Nutrition Clinique (Garches)
Le premier cas d’anorexie mentale décrit dans l’histoire est celui de Catherine BENINCASA, dite sainte Catherine de Sienne, qui vécut au XIVe siècle. Pourtant, déjà au Moyen Âge, des périodes de jeûne et de sévères privations avaient cours au sein de communautés religieuses mystiques.
Un autre cas célèbre est celui d’Élisabeth DE WITTELSBACH, dite Sissi, l’impératrice d’Autriche-Hongrie, au XIXe siècle. La première description de la maladie est attribuée en 1689 à Richard MORTON qui lui donna le nom de « phtisie nerveuse ».
Ernest-Charles LASEGUE, a été l'un des premiers à donner une description psychopathologique de ce qu'il appelait « l’anorexie hystérique ».
Le terme « anorexie mentale » est proposé pour la première fois, en 1883, par Ch. HUCHARD qui pose, en outre, une distinction entre anorexie gastrique et anorexie mentale. En 1895, FREUD se penche aussi sur l’anorexie et propose un « rapprochement entre mélancolie et anorexie. ». Ce n'est qu'à partir des années 1950 que l’origine psychique de l'anorexie mentale a été admise.
L’anorexie mentale est une pathologie chronique résultant d’un trouble du comportement : la restriction alimentaire, autour de laquelle va s’organiser toute la vie psychique et relationnelle des malades. C’est la plus grave des pathologies psychiatriques par son retentissement somatique ; la dénutrition pouvant en effet atteindre les limites de la survie.
La prise en charge psychiatrique de l’anorexie mentale est essentielle. Cependant, lorsque la dénutrition est sévère et lorsqu’apparaissent des troubles métaboliques pouvant engager le pronostic vital, la priorité est somatique avec une exigence d’un poids minimum raisonnable (indice de masse corporelle > 18,5 kg/m2).
Les critères diagnostiques de la maladie sont connus (classification internationale DSM IV)
A.
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Refus de maintenir le poids corporel au niveau ou au dessus d’un poids minimum normal pour l’âge et pour la taille (ex. : perte de poids conduisant au maintien du poids à moins de 85% du poids attendu, ou incapacité à prendre du poids pendant la période de croissance conduisant à un poids inférieur à 85 % du poids attendu).
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B.
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Peur intense de prendre du poids ou de devenir gros, alors que le poids est inférieur à la normale.
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C.
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Altération de la perception du poids ou de la forme de son propre corps, influence excessive du poids ou de la forme corporelle sur l’estime de soi, ou déni de la gravité de la maigreur.
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D.
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Chez les femmes post-pubères, aménorrhée c'est-à-dire absence d’au moins trois cycles menstruels consécutifs. (une femme est considérée comme aménorrhéique si les règles ne surviennent qu’après administration d’hormones, par exemple œstrogènes)
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Type restrictif (« Restricting type ») : pendant l’épisode actuel d’Anorexie mentale, le sujet n’a pas, de manière régulière, présenté de crises de boulimie ni recouru aux vomissements provoqués ou à la prise de purgatifs (c'est-à-dire laxatifs, diurétiques, lavements).
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Type avec crises de boulimie/vomissements ou prise de purgatifs (« Binge-eating/purging type ») : pendant l’épisode actuel d’Anorexie mentale, le sujet a, de manière régulière présenté des crises de boulimie et/ou recouru aux vomissements provoqués ou à la prise de purgatifs (c'est-à-dire laxatifs, diurétiques, lavements).
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Définition de l’état nutritionnel d’après l’OMS chez l’adulte avant 70 ans
(en dehors de la présence d’œdèmes)
IMC
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Classification
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< 10
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Dénutrition grade V
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10 à 12,9
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Dénutrition grade IV
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13 à 14,9
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Dénutrition grade III
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15 à 16,9
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Dénutrition grade II
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17 à 18,4
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Dénutrition grade I
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18,5 à 25
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Normal
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IMC : indice de masse corporelle : poids (kg) /taille²
La prévalence de l’anorexie mentale est estimée selon la population et le lieu de recrutement entre 0,9% à 1,5% chez les femmes et entre 0,2% et 0,3% chez les hommes. Les formes sub-syndromiques sont deux à trois fois plus fréquentes. L’incidence la plus élevée a été trouvée entre l’âge de 15 et 20 ans : son augmentation ces dernières décennies semble plus liée à une reconnaissance plus rapide des troubles par les médecins généralistes, mieux formés à ses pathologies et par des parents mieux sensibilisés que par une réelle augmentation.
Il faut néanmoins souligner l’absence de données épidémiologiques pertinentes en France.
Le diagnostic clinique de la maladie repose sur l’association de la triade clinique des 3 A :
D’autres comportements peuvent être associés : l’hyperactivité physique et/ou intellectuelle, la potomanie, le mérycisme, les vomissements provoqués et la prise de laxatifs ou d’autres médicaments à visée amaigrissante (dans les formes avec conduites purgatives associées).
La symptomatologie est celle d’une dénutrition chronique le plus souvent marasmique pure à savoir : une amyotrophie généralisée avec parfois une hypotonie axiale, des troubles des phanères, une peau sèche, un lanugo, des hémorragies muqueuses, des troubles circulatoires pouvant êtres liés à des carences vitaminiques spécifiques, une hypothermie, des œdèmes déclives peuvent être observés, des fractures spontanées liées à une ostéoporose sévères.
Sur le plan métabolique, peuvent être retrouvés en fonction de la gravité de la dénutrition et de la présence ou non de conduites purgatives associées :
Des critères somatiques de gravité ont été identifiés : la présence de plus de deux critères doit faire envisager une hospitalisation.
Chez l’enfant et l’adolescent
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Anamnestiques
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Perte de poids rapide : plus de 2kg/semaine
Refus de manger : aphagie totale
Refus de boire
Lipothymies ou malaise d’allure orthostatique
Fatigabilité voire épuisement évoqué par le patient
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Cliniques
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IMC < 14 kg/m2 au delà de 17 ans, ou IMC < 13,2 kg/m2 à 15 et 16 ans, ou IMC < 12,7 kg/m2 à 13 et 14 ans
Ralentissement idéique et verbal, confusion
Syndrome occlusif
Bradycardies extrêmes : pouls < 40/min quel que soit le moment de la journée
Tachycardie
Pression artérielle systolique basse (< 80 mmHg)
PA < 80/50 mmHg, hypotension orthostatique mesurée par une augmentation de la fréquence cardiaque > 20/min ou diminution de la PA > 10-20 mmHg
Hypothermie < 35,5°C
Hyperthermie
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Paracliniques
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Hypoglycémie < 0,6 g/L
Troubles hydroélectrolytiques ou métaboliques sévères, en particulier : hypokaliémie, hyponatrémie, hypophosphorémie, hypomagnésémie (seuils non précisés chez l‘enfant et l’adolescent)
Elévation de la créatinine (> 100 µmol/L)
Cytolyse (> 4 x N)
Leuconeutropénie (< 1 000 /mm3)
Thrombopénie (< 60 000 /mm3)
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Chez l’adulte
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Anamnestiques
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· Importance et vitesse de l’amaigrissement : perte de 20% du poids en 3 mois
· Malaises et/ou chutes ou pertes de connaissance
· Vomissements incoercibles
Echec de la renutrition ambulatoire
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Cliniques
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· Signes cliniques de déshydratation
· IMC < 14 kg/m2
· Amyotrophie importante avec hypotonie axiale
· Hypothermie < 35°C
· Hypotension artérielle < 90/60 mmHg
· Fréquence cardiaque :
- Bradycardie sinusale FC< 40/min
- Tachycardie de repos > 60/min si IMC < 13 kg/m2
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Paracliniques
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· Anomalies de l’ECG en dehors de la fréquence cardiaque
· Hypoglycémie symptomatique < 0,6 g/L
ou asymptomatique si < 0,3 g/L
· Cytolyse hépatique > 10 x N
· Hypokaliémie < 3 mEq/L
· Hypophosphorémie < 0,5 mmol/L
· Insuffisance rénale : clairance de la créatinine < 40 mL/min
· Natrémie : < 125 mmol/L (potomanie, risque de convulsions)
> 150 mmol/L (déshydratation)
Leucopénie < 1 000 /mm3 (ou neutrophiles < 500 /mm3)
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La prise en charge somatique de l’anorexie mentale consiste en la prise en charge de la dénutrition et de ses complications. Elle peut se faire en ambulatoire ou en hospitalisation dans des services spécialisés en fonction du degré de gravité de la dénutrition. Elle consiste essentiellement en la correction des troubles métaboliques et en une renutrition progressive parfois artificielle entérale continue associée toujours à une complémentation en vitamines, oligoéléments et phosphore.
La renutrition doit être prudente de façon à prévenir le syndrome de renutrition, danger majeur dans formes graves et vecteur de défaillance polyviscérale.
Trois diagnostics différentiels doivent être éliminés en fonction des données anamnestiques, de la symptomatologie clinique et des résultats biologiques à savoir : la maladie cœliaque, l’hyperthyroïdie et la maladie de Crohn. Leur suspicion doit faire l’objet d’examens complémentaires (fibroscopie digestive avec biopsies gastriques et duodénales, coloscopie, bilan auto-immun…
Ginette Raimbault, Caroline Eliacheff : Les indomptables:figures de l'anorexie
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Publié en 2010