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Troubles alimentaires chez l'enfant atteint de mucoviscidose


Pr Frédéric HUET, Dr Laure BONNET, Pr Daniel RIGAUD – CHU Dijon

La mucoviscidose est une affection chronique invalidante liée à des anomalies génétiques des sécrétions bronchiques et pancréatiques. Il en résulte une bronchopneumopathie aggravée par les surinfections et une atteinte pancréatique exocrine (malabsorption) et endocrine (diabète). La mucoviscidose est liée à une mutation (plusieurs sont impliquées, selon les malades) sur le gène d’une protéine spécifique qui participe à la sécrétion pancréatique exocrine et à la sécrétion bronchique : il s’agit de la mutation du gène CFTR (pour cystic fibrosis transmembrane receptor).

1. Fréquence

La dénutrition est très fréquente dans la mucoviscidose, tout stade évolutif confondu, entre 15 et 44 % des patients, selon les publications. On peut l’estimer à :

  • Au moment du diagnostic : de 21 à 44 % des malades étaient dénutris (poids ou taille corporelle < 5ème percentile). Le diagnostic néonatal systématique a réduit cette fréquence, en permettant de mettre en place un traitement nutritionnel.
  • Au dépistage néonatal : Elle est actuellement de 5 à 25 % selon le critère employé et la cohorte examinée (variation selon les pays et peut-être les gènes amplificateurs présents ou non).
  • Le nourrisson : la dénutrition touche de 7-11 % (retard statural) à 11-13 % (retard pondéral) des enfants de moins d’un an.
  • L’enfance : 9-17 % de retard statural et 4-8 % de retard pondéral pour les enfants de 1 à 10 ans. Le dépistage et la prise en charge précoces permettent de limiter l’aggravation de la mucoviscidose, et ce parfois jusqu’à l’adolescence.
  • L’adolescence : la dénutrition touche de 8-21 % (retard statural) à 9-13 % (retard pondéral).
  • L’adulte : la fréquence de la dénutrition varie de 8 à 38 % suivant les critères, les pays, l’âge des malades et la gravité de l’affection.

2. Les mécanismes responsables de la dénutrition

La dénutrition résulte de la négativité durable de la balance nutritive (par exemple énergétique). Il peut s’agir d’un déficit énergétique (marasme), protéique (diminution préférentielle de la masse maigre) ou en micronutriments (calcium, fer, vitamine D...). Le déficit énergétique porte sur les glucides et/ou sur les protides et lipides. Ces derniers ont plus de conséquences, dans la mesure où il existe des besoins qualitatifs (acides gras essentiels, acides aminés essentiels). Dans la mucoviscidose, la dénutrition est en rapport avec une réduction des ingesta et une augmentation des pertes.

2.1. Les entrées

Anorexie (perte d’appétit) : C’est une cause fréquente de dénutrition. En sont responsables : vomissements, toux et encombrements nasopharyngés, syndrome inflammatoire (sécrétion de cytokines anorexigènes), médicaments anorexigènes (antibiotiques) et état dépressif.

Inconfort digestif : vomissements, reflux gastrooesophagien, retard à l’évacuation gastrique, douleurs abdominales, constipation, pseudo-obstruction intestinale distale, colopathie fibrosante.
Prescriptions diététiques ou médicales trop restrictives
Troubles du comportement alimentaire : restriction alimentaire et anorexie mentale.

2.2. Les pertes

L’augmentation des pertes d’interface

  • L’insuffisance pancréatique exocrine : Sa fréquence augmente avec la durée d’évolution. Elle frappe environ 85 % des malades à un stade ou à un autre. Elle est liée à la destruction des acini, secondaire à l’hyperpression engendrée par les bouchons muqueux obstructifs. Elle est corrélée au type de mutation de la CFTR (insuffisance couplée à l’homozygotie pour delta F 508). Elle induit une malabsorption surtout protéo-lipidique (créatorrhée et statorrhée), mais aussi glucidique et vitaminique. Elle touche notamment les acides aminés et acides gras essentiels. Les pertes peuvent atteindre 30-40 % des apports. Elle favorise les déficits en vitamines liposolubles (A, D, E et K), en vitamine B12, en calcium, en fer et en zinc.
  • L’insuffisance pancréatique endocrine : Le diabète conduit à des pertes rénales de glucose, de sodium et d’eau responsables de l’amaigrissement initial.
  • L’insuffisance intestinale : secondaire à une résection intestinale (iléus méconial).
  • Les pertes sudorales : elles concernent l’eau, le sodium et les protéines. Elles devraient être prises en compte, mais aucune recommandation quantitative n’est disponible actuellement.
  • L’augmentation de la dépense énergétique
  • La dépense énergétique de repos (DER ; métabolisme de base) est normale au début. Elle augmente ensuite chez environ un malade sur deux. Le principal facteur en est la détérioration de la fonction respiratoire. Ainsi, chez les malades dont le VEMS ou la CVF sont amputés de 20 % ou plus, La DER est augmentée de 15-30 %. Cette augmentation est secondaire à deux facteurs principaux :
  • L’augmentation du travail musculaire respiratoire
  • Un état inflammatoire chronique (et la surinfection pulmonaire).
    La mutation du gène CFTR pourrait en expliquer une petite partie.
    Cette augmentation de la DER est compensée par deux conséquences délétères : une diminution de la masse maigre (notamment musculaire) et une réduction de l’activité physique.

Tableau 1 : Mécanismes de la dénutrition dans la mucoviscidose

Retentissement
Sur les ingesta
Sur les pertes
Insuffisance pancréatique exo
 +  +++
Anorexie
 ++  0
Insuffisance respiratoire
 ++  ++
Infections bronchiques
 ++  ++
Encombrement naso-pharyngé
 +  0
Cirrhose biliaire
 +  +
Insuffisance pancréatique endo
 0  ±
Résection du grêle
 +  +++
Etat dépressif
 ++  0

0 = pas d'effet

3. Retentissement de la dénutrition au cours de la mucoviscidose

La dénutrition altère différentes fonctions de l’organisme, notamment en situation chronique d’agression :

  • Altération de la fonction respiratoire : le VEMS des enfants dénutris est plus bas. La fonction respiratoire des malades insuffisants pancréatique est plus altérée. L’état respiratoire est amélioré par la renutrition.
  • Altération des masses et fonctions musculaires, notamment des muscles squelettiques, respiratoires, digestifs et cardiaque. Diminution de la force maximale et de l’endurance.
  • Altération des fonctions immunitaires spécifiques et non spécifiques : déficit protéique et susceptibilité à l’infection ; baisse des facteurs d’inflammation ; altération du surfactant pulmonaire et carence en acides gras essentiels ; carence martiale et déficit immunitaire.
  • Altération des fonctions digestives : ralentissement de la vidange gastrique et de la vitesse de transit colique. Altération possible des sécrétions exocrines digestives (pancréas, bile, intestin).
  • Altération des fonctions de réparation (lutte contre les radicaux libres) : facteurs de croissance ; facteurs anti-oxydants.
  • Altération de la croissance : croissance staturo-pondérale ; croissance et développement pulmonaire (acides gras essentiels) ; retard pubertaire, en particulier chez la fille.
  • Altération de la masse osseuse : la dénutrition favorise ostéoporose et ostéomalacie, par les carences en énergie, en vitamine D et en calcium, par le retard pubertaire qu’elle induit.
  • Altération des fonctions supérieures : intelligence non verbale ; concentration, humeur...
  • Altération de l’espérance de vie, et ce de façon indépendante de la fonction respiratoire.

4. Lien causal entre dénutrition et pronostic

La dénutrition apparait parfois dans la petite enfance (1-3 ans). Dans les années 80, il a été montré qu’associer apport énergétique lipidique suffisant et substitution par enzymes pancréatiques permettait de réduire la fréquence de la dénutrition et d’augmenter d’environ 9 ans l’espérance de vie des enfants atteints de mucoviscidose. Un traitement précoce et durable de la dénutrition permet d’améliorer le pronostic même jusqu’à l’adolescence. A l’inverse, le retard à la prise en charge nutritionnelle ne se rattrape pas toujours. L’état nutritionnel reste corrélé à l’espérance de vie et suggère l’intérêt toujours actuel d’une alimentation riche en lipides et en enzymes pancréatiques. Chez l’enfant de un à trois ans, la dénutrition s’accompagne d’une diminution irréversible de la croissance pulmonaire.

Cependant, il n’existe pas d’étude prospective contrôlée à deux bras portant sur de larges groupes comparant une attitude nutritionnelle agressive à un groupe en alimentation « libre ». Il n’existe pas non plus d’étude contrôlée comparant une intervention nutritionnelle adaptée à la mucoviscidose (enrichie par exemple en tel ou tel acides gras ou acides aminés) à une approche nutritionnelle plus standard (compléments énergétiques et micronutriments).

5. Des liens dans les deux sens

De véritables cercles vicieux se font jour. En voici trois exemples :
1. Les troubles fonctionnels digestifs favorisent la réduction des ingesta et augmentent le risque de dénutrition, qui, elle, majore les troubles digestifs (ralentissement de la vidange gastrique surtout).
2. L’atteinte respiratoire et les surinfections accroissent à la fois l’anorexie et la dépense énergétique. La dénutrition qui en résulte peut, à son tour, diminuer la force des muscles respiratoires, réduire la sécrétion de surfactant pulmonaire et la production de cytokines, et donc la capacité de lutte contre l’infection. Elle aggrave ainsi l’insuffisance respiratoire chronique.
3. Les troubles du comportement alimentaire ou l’état dépressif limitent les apports énergétiques, induisent une dénutrition qui va augmenter l’anorexie et contribuer à altérer l’humeur.

6. Y a-il des criètres de dénutrition fiables ?

En pratique clinique, seuls des critères faciles à mettre en œuvre (accessibles), peu onéreux et sensibles ont leur intérêt. Différentes variables ont été employées et des valeurs « seuil » ont été définies. Ainsi, certains critères paraissent plus opportuns pour repérer les sujets à risque de dénutrition et d’autres les sujets à risque de complications de la dénutrition.

6.1. Les critères cliniques

Le poids : Chez l’enfant et l’adolescent, il doit être analysé selon les courbes, en référence à la taille, au sexe et à l’âge. Chez l’enfant jusqu’à 15 ans, Le déficit pondéral est le signe le plus précoce de dénutrition et précède le déficit statural de plusieurs mois. On doit estimer le déficit pondéral et statural en pourcentage du poids et de la taille référence pour l’âge et le sexe. On doit aussi calculer le déficit d’indice de masse corporelle (IMC). Chez l’adulte, la dénutrition est définie par un IMC < 18,5 kg/(m)2.

Le déficit statural
 : la taille pour l’âge, en pourcentage de la normale. Il est utile, pour définir le couloir attendu chez l’enfant malade, de tenir compte de la taille des parents :
(Taille du père + taille de la mère + 13 cm {+ 13 cm chez le garçon et – 13 cm chez la fille}) / 2

Tableau 2 : valeurs seuil indicatives de dénutrition

Déficit
Dénutrition légère
Dénutrition moyenne
Dénutrition importante
85-90 %
80-85 %
75-80 %
< 75 %

Par rapport à la moyenne de la normale pour l’âge (N compris entre 90 et 120 %)

Le périmètre crânien : uniquement chez le nouveau-né et le nourrisson (jusqu’à 3 ans).
Le critère évolutif : Un bon critère d’altération de l’état nutritionnel d’un enfant est la sortie de son couloir de poids, de taille et d’IMC. Ceci permet d’agir rapidement.
La composition corporelle : Essentielle à mieux préciser le déficit pondéral. En effet, la perte de poids peut porter avant tout sur la masse maigre ou plutôt sur la masse grasse. Or la perte de masse maigre a plus de retentissement physiologique que la perte de masse grasse.

Il est important, faute de valeurs seuil normales, d’évaluer ces variables de façon dynamique. On peut mesurer masse maigre et masse grasse par des moyens cliniques ou biophysiques :

Pli cutané tricipital (PCT), circonférence brachiale (CB), circonférence musculaire brachiale (CMB) : CMB = CM – (PCT x Symbole_Py.jpg)

Biophysiques : impédancemétrie bioélectrique ; absorptiométrie biphotonique (DEXA).

Les autres variables
 : L’état de la peau et des phanères rend compte de certaines carences nutritionnelles. Le retard pubertaire : La puberté est retardée et étalé dans la mucoviscidose. Le stade pubertaire doit être évalué à partir de l’âge de 8-10 ans (fille) ou 10-12 ans (garçon).

Les critères biologiques :

  • Les critères classiques :

Les protéines : dans l’ordre de sensibilité décroissante, rétinol binding protein (RBP), puis préalbuminémie (transthyrétine ou TTR), puis albuminémie.
Les micronutriments : fer sérique, hémoglobine, calcémie, phosphorémie

  • Les critères moins classiques : Le dosage du zinc plasmatique, des vitamines liposolubles : rétinol, 25 OH- vitamine D3 et alpha tocophérol notamment, taux de prothrombine (TP), acides gras plasmatiques.

7. Conclusion

La prise en charge nutritionnelle a révolutionné le pronostic de la mucoviscidose. Elle repose sur un diagnostic précoce, car la dénutrition et les malnutritions sont à la fois précoces et fréquentes, et si on ne fait rien, graves dans la mesure où elles retentissent sur la morbidité et la mortalité de façon notable. Au cours du suivi, l’évaluation de l’état nutritionnel est primordiale et la prévention ou la correction de la dénutrition sont des enjeux majeurs pour améliorer le pronostic.

Publié en 2010