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Alcool, nutrition et alimentation


Pr D. RIGAUD - Président d'Autrement

L’alcoolisme chronique touche environ 5 % de la population. Il est responsable d’un certain nombre d’affections et de troubles, en particulier de troubles alimentaires et nutritionnels. Ces troubles sont en partie liés au contexte psychologique et social, variables selon le type d’alcoolisme.

On a décrit des altérations nutritionnelles et des troubles du comportement alimentaire chez la personne alcoolique, notamment dans le sexe féminin.

1. Alimentation

L’alimentation est longtemps respectée chez la personne alcoolique. Les carences alimentaires sont en règle plus en rapport avec les difficultés socio-économiques et financières qu’avec l’alcoolisme lui-même. Beaucoup de malades ont pendant longtemps des apports en protides, lipides et glucides dans les normes recommandées.

Ce sont avant tout les problèmes financiers liés à la forte consommation d’alcool qui sont responsables de  carences alimentaires et à terme de dénutrition ou malnutrition .

  • Les carences en vitamines sont fréquentes et ne concernent pas que les vitamines du groupe B (B1, B6, B9 et B12).
  • La diminution des apports de fruits et légumes, de laitages et de viandes et poissons, au-delà d’une certaine durée de l’alcoolisme, en sont en partie responsables.
  • Un trouble grave, le syndrome de Gayet-Wernicke, peut même survenir : troubles de la conscience, voire coma, en cas de déficit important de vitamine B1, B6.
  • Une macrocytose (volume globulaire > 105 µ3) est possible en cas d’alcoolisme.
  • Une carence en magnésium est assez fréquente chez les alcooliques chroniques et favorise les troubles neurologiques.

La fréquence des troubles du comportement alimentaire (TCA) n’a pas été bien évaluée chez le patient alcoolique chronique. Selon de rares études, 20 à 26 % des malades alcooliques souffrent de TCA (fréquence des TCA dans la population : max 10 %). Seules 5-12 % des malades TCA disent être dépendants de l’alcool. Seules les anorexiques-boulimiques et les boulimiques à poids normal signalent cette dépendance (pas les anorexiques restrictives).

2. Dénutrition

La dénutrition est rare chez le malade alcoolique sans complications (on l’estime à 5-10 % des cas tout au plus). En revanche, elle devient fréquente quand l’alcoolisme est compliqué de cirrhose hépatique, notamment décompensée, de pancréatite chronique ou de polynévrite. Certaines statistiques font état de 40 à 50 % de malades dénutris dans ces conditions. On admet que 80 % des malades souffrant de pancréatite chronique calcifiante alcoolique sera un jour dénutri. C’est l’état inflammatoire, même modéré, qui précipite une situation nutritionnelle déjà précaire. Une intervention chirurgicale précipite encore le tableau, par l’anorexie, les troubles digestifs et le syndrome inflammatoire qu’elle génère.

La dénutrition, sauf en cas de cirrhose, compliquée de rétention hydrosodée (ascite, œdèmes des membres inférieurs), n’a aucun caractère particulier. En cas de rétention hydrosodée, le diagnostic est moins simple : l’IMC ne reflète plus rien, l’albuminémie et la préalbuminémie sont aussi diminuées du fait de l’insuffisance hépatocellulaire, la mesure de la composition corporelle par impédancemétrie n’est plus utilisable.

La carence en vitamines touche la moitié des alcooliques. Outre les carences alimentaires, sont en cause un déficit d’absorption digestive (vitamine B9 et B12 par exemple, calcium) et un métabolisme altéré (vitamine B9, calcium et ostéoporose par accroissement de l’ostéoclastie, c'est-à-dire du catabolisme osseux).

L’anémie est rare. La ferritine est en moyenne élevée chez l’alcoolique. L’anémie est liée en règle à une carence couplée en folates et en vitamine B12. C’est donc une anémie macrocytaire, sauf s’il y a saignement chronique.

3. Surcharges

La relation entre surpoids et consommation exagérée d’alcool est logique (l’alcool = 7 kcal/g alcool pur), mais non démontrée. Ceci a fait dire que l’alcool, chez l’alcoolique, représentait des « calories vides ». Il s’agit en fait d’un rendement diminué, l’alcool « produisant », chez le malade alcoolique, du NADPH et donc n’est pas producteur d’ATP. L’énergie associée à l’alcool est donc dissipée en chaleur, ce d’autant plus qu’il y a vasodilatation cutanée, augmentation du rythme cardiaque et glycogénolyse. Un certain nombre de malades alcooliques « modérés » (un litre/jour) ont des apports énergétiques et lipidiques augmentés. Certains d’entre eux prennent du poids, peuvent avoir une hypertriglycéridémie (chylomicrons ou VLDL) élevée ou très élevée (>20 g/L), voire un syndrome métabolique. L’hypertriglycéridémie est liée à un déficit portant sur la lipoprotéine-lipase (chylomicrons) ou sur une augmentation de la production de VLDL. Il est plausible que des facteurs génétiques jouent un rôle dans la génèse de cette hypertriglycéridémie et du surpoids, en plus du métabolisme à part (« détourné » vers le MEOS, pour mitochondrial ethanol oxydation system) chez l’alcoolique chronique.
Un excès d’apport en fer n’est pas souhaitable (sauf hémorragies) en fait, car l’alcool et les carences vitaminiques favorisent la surcharge en fer, bien mise en évidence par la ferritinémie.
Les crises de goutte et les crampes musculaires sont favorisées par l’augmentation du lactate.

4. Autres

Se rappeler que l’hypoglycémie et l’acidocétose sont des complications connues de l’alcoolisme chroniques. L’alcool, à forte dose, augmente la transformation de pyruvate en lactase, par augmentation du NADH hépatique, ce qui induit une hypoglycémie.

5. Conséquences et conduite à tenir

  • Évaluer les apports en protéines du malade alcoolique : taille de la portion de viande, poisson, œuf et lait-laitages ;
  • Évaluer les apports de calcium (lait, laitages et fromages, eaux calciques) ;
  • Bien sûr, évaluer la consommation (recouper les infos) : une boisson à 10 % apporte 10 ml/100 ml de boisson, soit 8 g d’alcool pur ;
  • Ne pas « inclure l’alcool » dans le bilan énergétique ;
  • Évaluer la dénutrition cliniquement : poids, taille, IMC, perte de poids et rythme de cette perte… (voir item) ;
  • Évaluer la dénutrition biologiquement : au minimum albuminémie, préalbuminémie, transferrine, NFS, plaquettes, calcémie, phosphorémie, vitamines B1, B6, B9, B12, 25-OH vitamine D3 ;
    Doser fer sérique et ferritine, triglycéridémie et glycémie ;
  • En cas de dénutrition avérée, travailler sur l’alimentation, puis en cas d’échec, proposer des compléments énergétiques. En cas d’échec, prescrire une nutrition entérale par sonde nasogastrique. Ne pas oublier vitamines du groupes B (B1, B6 surtout au début) et calcium et 25-OH vitamine D3 ;
  • En cas d’hypertriglycéridémie, déterminer le type. Seule la diminution de l’intoxication peut la faire baisser.
  • S’il y a surpoids, l’amaigrissement peut aider ; En cas de surpoids ou d’obésité, travailler sur les apports lipidiques (quantité, qualité), réduisez l’apport énergétique, introduisez les fruits et légumes et prescrivez de l’activité physique ;
  • A l’arrêt de l’alcool, repérer un trouble du comportement alimentaire s’il y a changement important du poids : risque fréquent de boulimie ou de compulsions alimentaires, risque rare d’anorexie mentale ou d’anorexie vraie.

5.1. Arrêt de la consommation d’alcool

Lors du sevrage durable, un certain nombre de troubles apparaissent. Ils ont été peu évalués. Un certain nombre de malades développent des TCA : en règle, il s’agit de compulsions alimentaires portant sur les aliments sucrés ou le sucré-gras. C’est ce qui explique une tendance à grossir chez ces malades. D’un point de vue comportemental, les malades compensent par les aliments palatables le manque induit par le sevrage des boissons alcooliques. De plus, leurs capacités d’ingestion sont plus grandes : l’alcool provoque un ralentissement de la vidange gastrique, des vomissements spontanés, des troubles digestifs que le sevrage fait disparaître : il devient plus facile de manger plus.

6. Conclusion

Les troubles du comportement alimentaire (TCA) et les addictions ont une partie de leurs mécanismes en commun. Les circuits dopaminergiques sont impliqués dans les deux cas, même si ce ne sont pas les seuls.

Il existe un ou des signaux génétiques communs, ce qui conduit à une co-transmission dans les familles de certaines addictions (alcool, substances) et des TCA. On trouve plus de TCA dans les familles où sévit l’alcoolisme que chez les autres et plus d’alcoolisme en cas de TCA.

Le risque de développer un TCA quand on est sous la dépendance d’une drogue est 2 à 4 fois plus grand que dans la population générale. De même, le risque de développer une conduite addictive non alimentaire est deux fois plus grand quand on a un TCA que quand on n’en a pas.

L’alcoolisme illustre bien ce phénomène. Il s’accompagne de troubles alimentaires, de carences nutritionnelles et de dénutrition dans un nombre plus important de cas que chez les personnes non alcooliques.
Ceci est aggravé en cas de complications associées à l’alcoolisme (cirrhose, pancréatite chronique).
Il faut penser à prendre en compte les troubles alimentaires et nutritionnels chez le malade alcoolique : dépistage, prévention, correction des déficits portant sur les macronutriments (protéines) et les micronutriments (vitamines de groupe B notamment).

Publié en 2010