Anorexie, boulimie, compulsions alimentaires : l'association peut vous aider à voir les choses Autrement

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Nutrition et addictions


Pr Daniel RIGAUD, Nutrition

1. Définitions

Les addictions sont des comportements de consommation de substances psychoactives provoquant initialement un bénéfice, mais à terme une souffrance psychologique, des altérations physiologiques et des complications somatiques. Le sujet devient plus ou moins vite dépendant, c'est-à-dire qu’il doit, contre sa volonté souvent, répéter le comportement quotidiennement ou pluri-quotidiennement.

Les addictions les plus répandues concernent la cigarette et l’alcool. On parle également d’addictions pour la dépendance aux drogues, qu’elles soient dites "douces" (cannabis) ou "dures" (héroïne, cocaïne, morphine, amphétamine…). Enfin existent des addictions liées à des activités et à des conduites, comme par exemple le jeu pathologique, les achats compulsifs et les troubles du comportement alimentaire (anorexie mentale, boulimie, compulsions alimentaires).

Il y a plusieurs types de dépendance, plus ou moins associés pour une « drogue » donnée : une dépendance physique, une dépendance psychique et une dépendance comportementale.

Un certain nombre de chercheurs ont assimilé la dépendance à la boulimie ou aux compulsions alimentaires à une « drogue ». Il est même des chercheurs qui pensent qu’il y a une addiction aux conduites alimentaires restrictives et à l’hyperactivité physique, comme par exemple l’anorexie mentale.

Il était donc logique de se poser la question des rapports qui existent entre les addictions et les troubles du comportement alimentaire (TCA).

2. Mécanismes et bases physiologiques

Les mécanismes généraux de l’addiction impliquent des déterminants biologiques, sociaux, autant que psychologiques. De plus, il y a probablement un profil neurobiologique spécifique pour chaque substance ou comportement « addictifs ». Enfin, les mécanismes sont multiples : la nicotine seule ne suffit pas à déclencher l'état de dépendance chez les fumeurs, pas plus que la molécule alcool ne suffit chez l’alcoolique. D’autres substances sont impliquées. De plus, les caractéristiques mentales du sujet « dépendant » jouent également un rôle important : les personnes addictives sont plus souvent anxieuses, dépressives et manquent plus souvent de confiance en elles que les personnes non-addictives. C’est entre autre ce qui explique que les troubles alimentaires (TCA) sont plus fréquents en cas de conduites addictives qu’en son absence. Car le manque de confiance et la manque d’estime de soi sont plus fréquents et plus grands chez les malades souffrant de TCA que chez des sujets sains ou bien d’autres malades.

Du point de vue neurobiologique, on a mis en lumière le rôle fondamental des neurones dopaminergiques dans la genèse des addictions. La dopamine est un neuromédiateur du plaisir et de la récompense, que le cerveau libère lors d’une expérience qu’il juge "agréable". Très utile pour l’apprentissage de ce qui est bon ou mauvais pour l’organisme, ce réseau dopaminergique peut aussi "s’emballer" et provoquer des dépendances. Dans le cas de la consommation de substances psychoactives comme les opiacés, le cerveau est régulièrement sollicité, ce qui entraîne une diminution de la production naturelle d'endorphines. Dès lors, la sensation de plaisir n’est plus obtenue que par l'apport de la substance extérieure, ce qui induit une augmentation de la tolérance à cette substance et un manque dès l'arrêt de sa consommation. L'organisme devenant peu à peu insensible à la substance et à ses effets, le consommateur doit accroître les doses pour obtenir le même niveau de plaisir ; c'est ce mécanisme dit de "renforcement positif" qui incite à répéter l'expérience agréable et entraîne la dépendance.

Or, ces circuits cérébraux sont mis en jeu dans les TCA. On a même décrit dans l’anorexie mentale le rôle favorisant de mutations génétiques au niveau du système dopaminergique et sérotoninergique.

L’addiction aux drogues (cocaïne, amphétamine ou morphine) est associée à une voie de signalisation impliquant plusieurs enzymes spécifiques, des protéines phosphatases, activée par la dopamine et aboutissant à une modification de la chromatine, ce matériel génétique présent dans le noyau des neurones. Les substances qui entraînent une dépendance (substances addictives) telles que la cocaïne, la morphine, les amphétamines exercent leurs effets sur le cerveau en détournant un système normal d’apprentissage auquel participe la dopamine, un transmetteur de « messages » chimiques entre neurones. Les substances addictives utilisent les mécanismes normaux d'apprentissage et les détournent de leurs fonctions physiologiques. Les drogues telles que la cocaïne ou la morphine, qui induisent une dépendance, exercent leurs effets addictifs en détournant le circuit cérébral dit « de la récompense », dont la dopamine est un acteur majeur. La libération de dopamine dans le cerveau est en effet provoquée directement par la consommation de telles substances. Ce « signal dopamine » est alors interprété à tort par le cerveau comme ayant une valeur positive de récompense.

Normalement, la libération de dopamine est observée lors de stimuli annonçant une récompense naturelle, comme la consommation de nourriture appétissante. La dopamine permet le fonctionnement normal de certaines régions du cerveau (notamment le striatum). Elle facilite l’apprentissage de mouvements et joue un rôle dans la motivation. L’augmentation artificielle des taux de dopamine consécutive à la consommation d’une drogue entraîne une stimulation chimique directe du circuit de la récompense. Cette hyperstimulation participe au besoin sans cesse accru, et irrépressible chez les sujets dépendants, de reproduire les conduites ayant amené à la prise de drogue.

Différents travaux ont montré que les effets durables des drogues sont dus à des changements d’expression de gènes dans les neurones sur lesquels agit normalement la dopamine. Certaines études trouvent les mêmes mutations de gènes dans les addictions et les TCA. Dans les études familiales, on retrouve plus d’addictions dans la famille, même éloignée, de malades TCA que dans les familles de sujets n’ayant pas de TCA. Une nouvelle voie de signalisation a été trouvée, qui implique plusieurs enzymes spécifiques, des protéines phosphatases, activée par la dopamine. Ceci aboutit à une modification de la chromatine, un matériel génétique présent dans le noyau des neurones, notamment dans la région du striatum, où une protéine, la DARPP-32 s’accumule dans le noyau des neurones lorsqu’une souris reçoit une injection de cocaïne, d’amphétamine, ou de morphine. Cette protéine n’est pas uniquement mise en jeu par des drogues, mais intervient aussi dans des apprentissages de comportements en particulier alimentaires. Cet apprentissage suffit en effet à entrainer l’accumulation de DARPP-32 dans le noyau des neurones du striatum. La mutation de la protéine DARPP-32 diminue la motivation pour obtenir de la nourriture après un tel apprentissage.

3. Épidémiologie

Les addictions sont deux fois plus fréquentes en cas de troubles du comportement alimentaire (TCA) qu’en leur absence. On admet que seuls les TCA associés à des « crises alimentaires » sont concernés : compulsions alimentaires, boulimie et anorexie mentale dans sa forme boulimique. En revanche, les addictions sont plutôt moins fréquentes en cas d’anorexie mentale restrictive pure que dans la population. De même, les troubles du comportement alimentaire sont 2 à 3 fois plus plus fréquents en cas d’addictions qu’en leur absence : ceci concerne les malades alcooliques, héroïnomanes, cocaïnomanes, ainsi que les gros consommateurs de cannabis.

Toutes études confondues, la co-morbidité TCA-drogues est 4 fois plus fréquente que dans la population.
L’association d’une addiction aux substances et d’un trouble du comportement alimentaire aggrave la morbidité et la mortalité liées à chacune d’elle. Ainsi, la fréquence des TOC, de l’anxiété, de la dépression, des conduites d’automutilations, des carences nutritionnelles, du déni, de l’échappement aux soins, et la mortalité sont plus élevées.

Enfin, des antécédents d’abus sexuel sont trouvés 2 à 5 fois plus souvent en cas de TCA et d’addiction que dans la population générale. Ces antécédents sont 2 fois plus fréquents, touchant jusqu’à 40-50 % des malades en cas de co-morbidité.

Cette co-morbidité s’explique par l’implication du système de récompense (système dopaminergique) et par la fréquence accrue de l’anxiété et d’un état dépressif dans les TCA comme dans les conduites addictives. La souffrance, commune aux deux, et l’état de manque à l’arrêt, génère un besoin de s’y soustraire qui conduit parfois à tomber dans l’autre affection. Ainsi, certaines boulimiques associent-elles binge drinking et binge eating, à l’arrêt de l’héroïne, d’autres compensent dans les crises compulsives alimentaires. Certaines femmes en proie à la consommation de substances addictives (héroïne) cherchent à reprendre le contrôle par le jeûne et l’excitation qu’il provoque chez elle (pensée anorexique).

4. Dénutrition et addictions

La malnutrition et la dénutrition sont plus fréquentes en cas d’addictions que dans la population. Ceci concerne les malades alcooliques, héroïnomanes, cocaïnomanes, ainsi que les personnes qui abusent des amphétamines. En cause sont les problèmes sociaux et financiers liés à la consommation de certaines drogues (alcool, héroïne, morphine), mais aussi les effets des drogues sur les neurones affectés à la « récompense », pris et activés dans les circuits « drogues » et moins disponibles pour les circuits « alimentation ». Ceci explique la perte d’appétit (anorexie vraie des alcooliques), le besoin de contrôle par le jeûne (pensée anorexique mentale).

Enfin, l’arrêt de la substance conduit la personne à un état de manque qu’elle cherche à compenser en activant les circuits neuronaux dopaminergiques par un moyen physiologique très opérationnel : celui de la prise alimentaire.

5. Conclusion pratique

On ignore encore beaucoup de l'impact nutritionnel des addictions aux substances telles que l'héroïne, la cocaïne ou le haschich. Ce qui est sûr, c'est que bon nombre des personnes qui souffrent de telles dépendances ont des carences nutritionnelles en rapport avec une alimentation déséquilibrée, restrictive ou hanarchique.

La structure des repas est parfois fortement altérée, les évictions d'aliments fréquentes et les achats compulsifs. Les gros consommateurs deviennent souvent des "campeurs alimentaires" qui mangent quand ils ont faim, qui achètent de la nourriture quand ils ont du temps et quand ils ont de l'argent et qui consomment trop souvent plus de bière que d'eau.

Lorsque l'on travaille avec ces malades sur le sevrage, il faudrait idéalement leur reconstruire un cadre de vie dans lequel le cadre alimentaire jouerait son rôle social et permettrait de restaurer un meilleur état nutritionnel. Malheureusement, beaucoup reste à faire dans ce domaine, tant la prise en charge est oubliée.

Publié en 2010