Anorexie, boulimie, compulsions alimentaires : l'association peut vous aider à voir les choses Autrement

Anorexie mentale et boulimie
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Qualité de vie dans l'anorexie et la boulimie


Pr D. RIGAUD - Président d'Autrement

1. Anorexie mentale et boulimie : la qualité de vie est altérée

Face à l’anorexie mentale, l’idée qui prévaut dans le grand public et chez bien des professionnels de Santé est que ce trouble du comportement alimentaire survient chez des jeunes filles brillantes, qui réussissent tout bien à l’école et qui sont promises à un bel avenir. Du coup, on met dans le même sac la boulimie et les compulsions alimentaires.

Tout le monde s’accorde à évoquer ce perfectionnisme extrême qui amènerait les malades à faire des choses parfaites, à réaliser avec légèreté ce qu’on leur demande et au-delà. Bien sûr, on voit bien aussi que ce perfectionnisme ne semble pas permettre d’écarter en un tour de main volontaire la restriction alimentaire et la peur des matières grasses.

A l’association Autrement, tout autant comme thérapeute que comme personne à l’écoute de l’autre malade, nous avons toujours trouvé que la réalité n’avait pas pris le même chemin !

S’il est vrai que la réussite scolaire, au collège ou au lycée, de telle personne anorexique de 35 kg pour 1,65 m (comment fait-elle, si maigre ?) nous frappe, nous oublions trop souvent, les uns et les autres, la phobie scolaire que certaines anorexies engendrent, la peur du jugement des professeurs qui paralyse telle autre à l’oral, les obsessions autour de l’alimentation enfin source de manque de confiance et de concentration.

Rien n’a l’air si facile. Mais où est donc le perfectionnisme dont tout le monde parle ? il est bien là, mais comme une pensée obsédante de quelque chose d’irréalisable, d’un vieux rêve de pureté et d’une pensée manichéenne qui ne sait choisir que le 0 ou le 20. Pensée idéalisée, où il n’y a que du noir et du blanc, et rien sur l’échelle de gris !

2. Le perfectionnisme est paralysé

Dans l’anorexie mentale, il n’y a pas de perfectionnisme au sens du besoin de faire quelque chose de beau, de créer quelque chose de parfait mais seulement l’idée obsédante que l’autre vous juge nul si vous n’avez pas 20/20.

Dans l’anorexie mentale et la boulimie, le perfectionnisme est paralysé par la peur, détourné par les obsessions, perverti par le souci du détail que personne ne voit. En revanche, il me semble que lorsque les malades guérissent, elles trouvent en elle cette force, cette volonté qui était piégée dans le trouble alimentaire. Force et volonté sont en effet neutralisés par le trouble alimentaire au point de laisser la malade incapable de terminer quoique ce soit, tant la réalité est loin de l’idéal qu’elle se faisait.

Mais ce perfectionnisme, oublieux de la réalité sera rendu à la personne, une fois la guérison venue. Ce perfectionnisme est en elle ; ce n’est pas un mirage, c’est seulement la maladie qui le rend illusoire.

Lorsque le trouble alimentaire frappe des personnes adultes, femmes et hommes, la qualité de la vie est souvent si détériorée que la malade veut mourir. Combien de malades avons-nous vu qui, en regardant obsessionnellement (obstinément !) le risque de manger, perdaient successivement qui un mari, qui un conjoint, qui un ami, qui le travail qui lui apportait un peu de répit.

Nous avons récemment effectué une étude prospective sur la qualité de vie dans les TCA. Les résultats sont frappants. Un tiers des malades a eu des arrêts de travail de plus de trois mois, une malade sur six est en invalidité ou en congé maladie de longue durée, une malade sur quatre n’a pas le travail que ses diplômes lui permettrait.

Les relations aux autres sont difficiles, tendues et rendues compliquées par l’angoisse et la peur du jugement d’autrui. Le lien affectif est fort et toujours déçu par ce désir d’absolu, ce songe de pureté et bien sûr enfin le fait que les humains ont une fâcheuse tendance à associer convivialité et festin, partage et repas. Après tout, le repas est la seule fonction vitale que les humains peuvent partager dans du plaisir réciproque et sans honte.

Heureusement, me direz-vous, les malades souffrant d'anorexie et de boulimie ne sont pas tout le temps à table et les autres occupations et plaisirs quotidiens en sont sûrement valorisés et d’autant plus riches que le plaisir alimentaire est moribond. Malheureusement il n’en est rien ! Dans ce questionnaire explorant la détérioration de la qualité de la vie, les malades indiquaient leurs difficultés ou leur impossibilité à sortir, leur incapacité fréquente à se faire plaisir, à danser, à aller au cinéma, au théâtre...

3. Anorexie, boulimie et hyperactivité physique et psychique

Heureusement, me direz-vous encore, il y a le sport ! Là, point de problème. La malade anorexique ou boulimique y excelle, capable de faire des kilomètres de marche vive ou de course à pieds, d’heures d’abdominaux ou de travail fessier. Face à cette excellence, les autres ne pourraient être que ébahis, émerveillés et bleffés. Et donc  la malade anorexique ou boulimique, fière comme Artaban, pourrait aller vers l’autre tant elle se sent forte !

En fait, il n’en est rien car le sport, dans l’anorexie mentale et la boulimie n’a pas du tout la fonction de partager avec l’autre un bon moment dans l’effort physique qui fait transpirer les corps et respirer les âmes. Non, ce n’est pas ici d’activité physique ou d’exercice physique dont il s’agit mais d’hyperactivité physique et psychique dans une pensée égocentrique où l’autre n’a pas sa place. La malade se sent en confiance quand elle fait son sport : ici pas de pensées obsessionnelles autour de l’alimentation, pas d’angoisse, pas de peur, une assurance ressentie dans n’importe quel autre domaine.

En fait l’effort physique n’est ici que l’exutoire d’un corps souffrant, qui fait mal, et qu’on mène jusqu’au bout de la douleur. Ici aussi, à force de vouloir faire tout mieux, la malade perd le contact avec les autres, perd l’envie du partage. Elle est au même endroit que les autres, mais toujours pas à sa place. Elle cherche à être admirée mais n’arrive pas forcément à regarder l’autre pour le lui demander.

4. Et les relations amoureuses ?

Que dire de la détérioration des relations amoureuses ? L’amour est partage, échange, lâché prise. L’anorexie mentale, la boulimie sont attentes, demandes. Trop souvent, la malade anorexique ou boulimique s’attache tellement à l’autre que la relation affective souffre : lié, l’amour est nié. Le plus fort de l’amour est don de soi. Dans l’amour, le moi se dissout comme un sucre dans une tasse : le moi est toujours là, mais il a visuellement disparu au profit d’une autre entité : le couple. L’amour le plus beau est celui où on ne voit aucun des deux, mais seulement le tout dont ils sont la moitié.

Toujours en réponse à ce questionnaire, les malades nous ont dit que leur relation amoureuse était altérée sinon catastrophique : au mieux le conjoint ne comprenait pas, au pire il devenait indifférent ou absent, voire s’en allait. Les relations sexuelles, nous dirent-elles, sont bien plus difficiles encore : entre dégoût de soi, recherche de pureté, perte des ressentis et difficulté face à son plaisir, la malade se coupe du désir ou s’interdit le plaisir trop souvent. Sa peur du jugement la paralyse, son besoin de contrôle la laisse paniquée face à cette perte de repère que représente au final l’acte sexuel.

Et puis il y a ses amis, ses soit disant amis, qui ne pensent qu’à manger, qu’à vous inviter à partager une pizza ou une fondue et dont on sent le mépris, l’incompréhension. Quand péniblement on met à la bouche une feuille de salade sans huile. Car l’autre est à table pour tout autant ouvrir la bouche à la nourriture qu’à s’ouvrir de bouche (à parler) à ceux qui sont autour de la table. La table est ronde à telle fin que chacun puisse se nourrir dans la lumière du regard de ses voisins. Se nourrir à deux tout autant de la viande qu’ils mangent. La personne anorexique ou boulimique ne peut pas cueillir à la lèvre d’autrui le fruit de ce partage, tout empêtrée qu’elle est dans ses contradictions, empêchée qu’elle en est dans sa peur de grossir.

Le repas, par ailleurs, provoque de drôles de ressentis dans ce ventre-abomination ; le repas le gonfle, l’agite de gaz ; l’acidité remonte à la bouche rappelant malencontreusement à la malade qui vomit ou fait des crises l’horreur qu’elle en a. Tout le monde va voir ses torsions, chacun pourra entendre ses borborygmes. Seuls les parents dans ce désastre sont prêts à quelques efforts. Je parle ici plus du père et de la mère que du reste de la famille qui se drape dans des conseils décalés.

5. En conclusion, que dire, que souligner ?

S’il est bien vrai qu’au début de la maladie, la malade se sent mieux, au point de croire qu’elle a trouvé « la solution » à son mal-être, au point de croire qu’elle a enfin trouvé « sa place », ceci ne va pas durer. Malheureusement les bénéfices ressentis vont vite disparaître au profit d’un vide intérieur, d’un néant où la patiente se sentira piégée et dont elle aura bien du mal à se sortir. La dénutrition, aussi bien dans l'anorexie mentale que dans la boulimie, n’arrange rien. Elle altère l’état de santé somatique : fatigue, sensation de froid, troubles digestifs, altération des mains, déminéralisation osseuse… Il est donc logique de penser que ceci a un fort impact sur la qualité de vie.

Pour sortir de cet enfer, il faut accepter de se dire que les sensations « euphorisantes » et de « mieux être » ressentis au début du trouble du comportement alimentaire ne reviendront jamais.

Non la maladie n’est pas une bulle protectrice,
Non la maladie ne vous permettra jamais de trouver votre « identité »,
Non, la maladie n’est pas une solution à ses difficultés à vivre.

Oui la dénutrition aggrave le TCA. Alors commencez d’abord par soigner le corps. Une fois le corps renourri, le cerveau aussi, vous serez plus apte à faire de vrais liens entre votre souffrance et le comportement alimentaire déviant. La dernière marche sera de retrouver une qualité de vie harmonieuse. Car l’important est de vous servir de cette détérioration de votre qualité de vie, dans la pensée que vous pouvez en changer. Car la qualité de vie s’améliorera, c’est clairement prouvé, au sortir de l’anorexie ou de la boulimie. Y croire, c’est déjà améliorer sa qualité de vie.

 

Publié en 2010