Anorexie, boulimie, compulsions alimentaires : l'association peut vous aider à voir les choses Autrement

Anorexie mentale et boulimie
Définition, symptômes et maladies associées
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Le mérycisme : un comportement de dépendance fréquent dans l'anorexie et la boulimie


Pr D. RIGAUD - Association Autrement

1. Définition

Le mérycisme ou rumination est un besoin incontrôlable de rappeler dans la bouche des aliments que l’on vient d’avaler (et qui sont donc dans l’estomac).
Il ne s’agit pas d’un vomissement. Il ne s’agit pas non plus d’une crise compulsive alimentaire.
Il ne s’agit pas non plus d’un reflux gastro-oesophagien « classique » : le reflux, notamment le reflux acide gastro-oesophagien, est une anomalie totalement involontaire et inconsciente. En aucun cas le malade ne le fait « exprès ». Il le subit complètement et ne peut pas le décider. Il n’en tire aucun profit.

La rumination est issue d’une pensée, parfois inconsciente, d’obtenir du plaisir en « reprenant » dans la bouche des aliments qui sont passés par elle, sans en mettre en bouche de nouveaux.

2. Mécanisme de la rumination

C’est un comportement conscient, en ce sens qu’on décide de le faire : ça ne se fait pas sans que la « pensée en vienne », c’est à dire qu’on soit « en pleine conscience ». C’est la personne elle-même qui provoque le retour des aliments contenus dans l’estomac dans sa bouche. Mais c’est un comportement involontaire en ce sens que la personne est « dépassée » par son comportement. Quelque chose « agit en elle » pour faire ça !

Il s’agit d’un comportement de dépendance, addictif, dans la mesure où la personne n’a pas le choix de ne pas le faire. Elle y est obligée de façon compulsive : « c’est comme une drogue ». Il arrive fréquemment, et c’est ce qui gêne le plus ces personnes, qu’elles soient amenées à le faire en présence d’autrui, alors qu’elles trouvent ça gênant, impoli, incorrect. Une force les y pousse !

Ce n’est pas un vomissement : il n’y a pas de violentes contractions du diaphragme, ce muscle qui se contracte pour servir de soufflet au système respiratoire (comme les mains pour l’accordéon, qui en comprimant et tirant sur l’instrument, font entrer et sortir l’air de l’instrument). Concernant le vomissement, c’est le diaphragme qui est responsable, par la violence de sa contraction, d’un mouvement de bas de haut qui provoque le vomissement. L’estomac est en effet accroché au diaphragme en haut et à une membrane intra-abdominale en bas : quand le diaphragme monte brutalement, il tire sur l’estomac qu’il vide ainsi de son contenu, par le haut, puisque la porte du bas est fermée.

3. La rumination n’obéit pas du tout à ce mécanisme. Comment s’opère-t-elle ?

L’estomac est pourvu d’une poche située sous le diaphragme. C’est dans cette poche que se met par exemple l’air qu’on avale en mangeant. Au demeurant, cette « poche à air » est faite pour ceci : recueillir l’air avalé et pouvoir le rejeter facilement (on rote). Chez les animaux ruminants, tous les aliments « tombent » dans cette poche, où ils restent un certain temps, pour que la digestion soit commencée. Chez les personnes qui ont du mérycisme, les aliments, ou une partie d’entre eux en tout cas, tombent également dans cette poche. Par ailleurs, la porte d’entrée dans l’estomac, le cardia, est ouverte, fragilisée qu’elle est en règle par des vomissements provoqués. C’est pourquoi les aliments contenus dans la poche à air peuvent facilement remonter.

Le comportement de mérycisme est un comportement appris, mais facilité par des « dispositions physiologiques » : n’importe qui ne peut pas faire de mérycisme. Il faut avoir une poche à air bien disposée, suffisamment grande et bien située, pour que beaucoup d’aliments tombent dedans.
La personne fait activement, par sa « volonté », action de suçage, bouche fermée : elle crée alors un vide qui facilite la remontée des aliments depuis l’estomac vers la cavité buccale.

4. Que cherche la personne en faisant ceci ?

La pensée qui sous-tend le mérycisme est le plaisir. La personne qui active consciemment la remontée des aliments dans la bouche cherche en fait à se procurer du plaisir, en tout cas au début. Elle a besoin, un besoin irrépressible, de retrouver le plaisir qu’elle a eu, quelques instants auparavant, avec ces aliments qu’elle a avalés. On pourrait résumer ceci de la façon suivante : une bouchée avalée et deux fois plus de plaisir. Il y a, à cette répétition, une satisfaction inconsciente. C’est comme si la nature vous autorisait à tirer le double de plaisir avec une seule chose. Inconsciemment ou consciemment, la pensée qu’on évite ainsi d’avoir à reprendre un aliment certes bon mais calorique pilote le trouble. C’est aussi pour éviter de grossir que ceci se fait.

Les gens qui souffrent de mérycisme ont une fois sur deux une anorexie mentale ou une boulimie associée. A l’inverse, le mérycisme n’est pas une complication fréquente de l’anorexie mentale ou de la boulimie : on ne retrouve que chez moins d’une malade sur 15 à 20.

Est-il possible de se faire plaisir avec un aliment qui a séjourné dans l’estomac ? En fait, oui. L’estomac sécrète un suc acide. Le but de ce suc est de commencer la digestion, par l’acide, du contenu gastrique. La poche à air contient un peu de ce liquide : les gastroentérologues appellent ceci le « lac gastrique ». Les aliments qui tombent dans la poche à air se mélangent avec ce liquide acide. Ceci donne aux aliments un goût très particuliers que certains malades aiment (ou croient aimer ?). Ce plaisir à l’acide est ce que l’on recherche après tout avec la vinaigrette, la sauce citronnée qui accompagne le poisson ou la consommation de certaines baies au dessert.

5. Est-ce dangereux ?

En tant que tel, non. Pourtant, comme on l’a vu plus haut, le mérycisme est un comportement associé à un authentique reflux gastro-oesophagien acide. C’est en effet parce que la porte d’entrée dans l’estomac, le cardia, est fragilisée, ouverte trop souvent, plutôt qu’en permanence fermée (comme elle doit l’être), qu’on peut avoir un mérycisme. On est donc exposé aux complications du reflux gastro-oesophagien acide : en particulier, des ulcérations de la partie basse de l’œsophage peuvent se développer, ce qui peut induire à terme un rétrécissement du bas œsophage, lors de leur cicatrisation.

Très souvent, le mérycisme est associé à une anorexie mentale ou à la boulimie (à poids normal). C’est au fond assez logique, puisque ces malades ne veulent absolument pas grossir et qu’elles veulent avoir du plaisir malgré tout. Les malades risquent donc toutes les complications et ennuis de santé qui obèrent le pronostic de ces troubles du comportement alimentaire.

6. Avons-nous un traitement ?

A dire vrai, nous n’avons pas de traitement médical efficace. Il n’y a pas de médicaments qui puissent s’opposer au mérycisme. Les médicaments qui réduisent la nausée et diminuent les vomissements sont sans effet ici. Les anxiolytiques n’ont aucune efficacité non plus, puisqu’il n’y a pas à proprement parler d’angoisse. Les anti-dépresseurs sérotoninergiques, qui sont efficaces dans les crises compulsions alimentaires et la boulimie, n’ont pas fait la preuve de leur intérêt dans le mérycisme.

Force est donc de se rabattre sur la thérapie cognitivo-comportementale. L’objet est ici de faire comprendre à la personne ce qui se joue. Mais nous manquons, sans doute parce que le trouble est rare, d’une thérapie « spécifique », vraiment ciblée contre le mérycisme. De plus, les pensées fortement négatives qui entourent les crises de boulimie sont ici absentes (il n’y a pas de drame, au début, pour la personne à faire ceci !). Donc, le bénéfice attendu du traitement par la personne qui souffre de mérycisme est moins grand que dans la boulimie. Il faut s’appuyer sur la honte qu’elle a à le faire « sans rien contrôler », notamment lorsqu’elle est en présence d’autrui. L’estime de soi est aussi altérée, ce qui peut être un point à relever et à travailler avec la personne.

7. Conclusion

Le mérycisme est un trouble du comportement alimentaire atypique, mal connu et souvent confondu avec d’autres. Ce n’est ni un vomissement, ni un reflux gastro-oesophagien.
On y retrouve une dimension de plaisir, même s’il s’agit d’un comportement compulsif, auquel on est « accro ».
Le mérycisme est souvent associé à l’anorexie mentale ou la boulimie.

Publié en 2010