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Étude : comportements alimentaires en Bourgogne : méthodologie


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       Ministère de la Santé                                                                                           Association AUTREMENT

1. Rapport scientifique de l'étude PNNS mars 2004

fle64.gif Rappel des objectifs de l'étude - L’alimentation a trois objectifs :

  1. nourrir et assurer le renouvellement de l’organisme,
  2. resserrer les liens entre individus d’un même groupe social,
  3. participer à la gestion de nos émotions et de nos affects.

L’homme développe, au fil des expériences et d’apprentissages conscients et inconscients, des pensées et des émotions autour de l’alimentation.

Or l’alimentation a considérablement changé : tout est beaucoup plus disponible à relativement peu de frais. Mais, dans le même temps, les médecins et nutritionnistes ont appris aux consommateurs à manger « santé », ce qui peut induire la peur de ne pas manger conformément à la diététique. Enfin, un certain nombre d’aliments sont fabriqués par l’industrie agro-alimentaire ou présentés en restauration collective, alors qu’ils étaient auparavant achetés chez un commerçant proche. Il est possible donc que les aliments que l’on propose au consommateur ne lui semblent pas appropriés ou utile.

Il est utile de savoir si ceci modifie les rapports des consommateurs avec leur alimentation : sensation d’être bien ou mal dans sa peau, d’être triste ou gai, tendu ou relaxé en réponse à l’acte alimentaire ou à la restauration collective… Enfin, pris dans les campagnes « minceurs », bien des gens risquent d’avoir développé une relation de méfiance à l’égard de leur alimentation : peur de grossir, voire troubles du comportement alimentaire : dégoût de manger, crises compulsives ou boulimiques. Il n’y a pas de questionnaire validé dans ce domaine ni d’études visant à comparer les pensées et sentiments autour de l’alimentation d’une part et le comportement alimentaire d’autre part en France.

Le but de ce travail était de valider un tel questionnaire en langue française, plus adapté à notre culture que les questionnaires d’origine anglo-saxonne. Ce questionnaire avait deux objectifs : connaître les pensées et sentiments autour de l’alimentation ; dépister, grâce à ceci, des troubles du comportement alimentaire, car il semble que certaines pensées autour de l’alimentation sont liées aux troubles du comportement alimentaire.

1.1. Matériel et méthodes : Validation

Un comité de spécialistes a été réuni. Il comportait deux médecins nutritionnistes, deux chercheurs en sciences humaines, un enseignant en psychologie, un psychothérapeute, une ancienne malade atteinte d’un trouble du comportement alimentaire et un représentant du milieu associatif « consommateurs ».

Les experts se sont réunis pour définir des pensées, des sentiments et des comportements vis à vis de l’alimentation : neuf grands thèmes de pensées concernant l’alimentation ont été définis en fonction des 2 objectifs ci-dessus. Ces thèmes étaient : l’intérêt porté à l’aspect pratique, au coût, à l’aspect « santé », à l’aspect « naturel » et diététique, aux saveurs et au goûts, à l’équilibre personnel, à l’aspect politique ; l’angoisse à manger. De 8 à 10 questions étaient posées pour chaque thème. Les réponses étaient imposées, allant de « pas du tout important » à « très important » (4 classes). Six types de sentiments ont été par ailleurs définis : bien être, inquiétude, tension, étrangeté, tristesse, angoisse. De 2 à 3 questions étaient posées pour chaque thème. Les réponses étaient imposées, allant de « très négatif » à « très positif » en passant par un état neutre (7 classes). Ex. : quand je pense aux aliments que je mange, je me sens… de « sombre » à « de bonne humeur », avec comme réponses possibles : très, plutôt, un peu sombre et un peu, plutôt et très « de bonne humeur ». Le 3ème volet concernait des comportements alimentaires : il a été construit à partir du questionnaire dit du « Eating Disorder Inventory » traduit en français, élaboré pour dépister un trouble du comportement alimentaire. Enfin, le 4ème volet était la fiche signalétique : sexe, âge, taille, poids, condition de vie (familiale), niveau d’études, emploi, lieu des repas, saut(s) de repas, prises « d’en cas » et grignotages (5 niveaux), régimes hypocaloriques (5 niveaux), évolution du poids (stable, en baisse, en hausse), activité physique (4 niveaux).

Au total, le questionnaire comportait initialement 132 questions : 81 sur les pensées ; 14 sur les sentiments ; 18 questions sur le comportement alimentaire ; 19 questions signalétiques.

Le questionnaire a ensuite été relu et corrigé par l’ensemble du comité, puis adressé à une vingtaine de personnes à qui était demandé d’en juger la compréhension et la lisibilité. Un certain nombre de questions ont paru redondantes, peu claires ou sans intérêt. Ceci nous a conduit à éliminer 24 questions. Certaines redondances ont été gardées pour vérifier la justesse des réponses et le niveau d’implication du sujet et éliminer les questionnaires peu fiables.

Le questionnaire a ensuite été retravaillé par 43 étudiants et étudiantes, médecins pour la plupart, participant au Diplôme d’Etudes Spéciales Complémentaires en Nutrition (session de Dijon). 23 questions ont ainsi été ré-écrites pour être plus claires. Neuf ont été supprimées.

Le questionnaire a ensuite été remis à 88 étudiants en médecine de la faculté de Dijon (DCEM 2) pour apprécier le temps de réponse moyen, le nombre de questions renseignées et la cohérence d’ensemble.

Au terme de cette analyse, 11 questions ont été exclues, faute d’être renseignées ou comprises par plus de 80 % des étudiants. Le questionnaire « définitif » initial comprenait donc 88 questions. Ensuite le questionnaire a été adressé à 114 étudiants en médecine de la faculté de Dijon de DCEM 1 et 2, pour confirmer de façon prospective la pertinence du questionnaire.

1.2. Analyse statistique : Elle a été effectuée en trois temps :

Premier temps : pourcentage de réponses concordantes aux questions de même signification. Le but était d’une part d’éliminer les questionnaires incohérents et d’autre part de supprimer certaines questions mal comprises par plus de 50 % des personnes interrogées.

Deuxième temps : regroupement de toutes les questions connotant pour un même thème, afin de juger de leur valeur de concordance et de discordance. Le but était d’éliminer certaines questions trop semblables (sauf celles mises en place pour juger de la fiabilité des réponses d’une personne donnée au questionnaire).

Troisième temps : étude statistique proprement dite, avec établissement des moyennes et écarts types, corrélations et analyses de variance à un facteur. Les valeurs de signification, compte tenu du nombre de tests effectués, étaient pondérés par un test de Bonféroni et fixées à P < 0,05. Les réponses concernant les grands thèmes de pensées et sentiments ont été ensuite comparées en fonction de classes de poids pré-définies (indice de masse corporelle, IMC, inférieur à 20, entre 20 et 25 et supérieur à 25 kg/(m)2), de signes évocateurs de troubles du comportement alimentaire (présence ou absence) voire d’intérêt pour les régimes hypocaloriques.

2. Résultats

L’analyse présentée ici porte sur les réponses aux questions qui ont été maintenues inchangées dans la dernière version. En effet, aucune différence n’a été observée (P > 0,50) entre l’avant dernière version, remise à 88 étudiants de médecine de 1ère année et la dernière version remise à 114 étudiants.

L’âge moyen des étudiants était de 21,6 + 0,96 ans. L’échantillon comprenait 76 % de femmes. L’indice de masse corporelle moyen était de 20,93 + 2,68 kg/(m)2 (60 kg ; 1,69 m).

Parmi ces étudiants, 33 % disaient n’avoir aucune activité physique, 60 % avoir une activité modérée, 4,5 % une activité moyenne et 2,3 % une activité physique intense.

Le pourcentage de sujets disant faire un régime pour maigrir était le suivant : tout le temps au régime : 2 %, souvent au régime : 4 %, parfois : 32 %, oui, en ce moment : 6 % et jamais : 56 %.

Concernant le grignotage et les en cas (hors goûter), 18 % répondaient jamais, 48 % une fois/jour, 25 % 2 à 3 fois/j, 5 % 4 à 5 fois/j et 4 % plus de 5 fois par jour.

Pour le petit déjeuner, 68 % répondaient en prendre un tous les jours, 11 % pratiquement chaque jour, 2 % irrégulièrement, 9 % qu’ils n’en prenaient jamais. Le petit déjeuner était pris « chez soi » dans 89 % des cas. C’était aussi le cas du déjeuner dans 48 % et du dîner dans 77 % des cas, tandis que 10 % des étudiants ne prenaient que rarement de déjeuner.

2.1. Taux de réponses :

La version première du questionnaire, remise à 88 étudiants, a été remplie par 75 d’entre eux (85 %). La 2ème version, remise à 114 étudiants, a été remplie par 102 d’entre eux (89,5 %). Pour la 2ème version, 93 % des 114 étudiants ont renseigné toutes les questions. Pour les 8 étudiants restants, les questions non renseignées étaient celles sur les sensations et humeurs, notamment 2 questions : quand je pense aux aliments ou à l’alimentation que l’on me propose, je me sens « enlaidi(e) » ; je me sens « triste ». Treize étudiants ont mis un point d’interrogation en face de certaines questions (maximum 4), conformément à une demande qui leur avait été faite : « si vous ne comprenez pas la question ou ne savez pas y répondre, mettez un « ? ».

2.1.1. Cohérence des réponses :

Les pensées autour de l’alimentation : Le maximum possible était 3 et le minimum zéro.

Tableau 1 : côté pratique de l’alimentation

Facile
à préparer

facile
à trouver

Facile
à cuisiner

Rapide
à préparer

Comme
d’habitude

près mon lieu
de travail

1,72 *

1,70

1,76

1,77

0,76

1,80

0,84 **

0,92

0,86

0,91

0,76

0,94

* moyenne ; ** écart type


Parmi les 6 items concernant l’intérêt du côté pratique de l’alimentation, une extrême concordance existait (tableau 1) : probabilité d’identité = 98,4 % (P < 0,0001).

Tableau 2 : coût de l’alimentation
pas chers

bon rapport qualité-prix

bon marché

1,47

2,18

1,48

0,78

0,69

0,80

Concernant l’intérêt porté au coût de l’alimentation, une extrême concordance existait entre les items 1 et 3 (tableau 2) : probabilité d’identité = 92,7 % (P < 0,01).
En revanche, les étudiants tendaient à accorder plus de valeur à l’item « bon rapport qualité-prix ».

Tableau 3 : caractère naturel de l’alimentation
pas additifs

naturels

pas ingrédient chimique

emballage écolo

1,35

1,90

1,37

1,47

0,89

0,84

0,95

0,98

Parmi les 4 items concernant l’intérêt porté au caractère naturel des aliments, une grande concordance existait entre items (tableau 3) : probabilité d’identité = 94,5 % (P < 0,002).
Cependant, l’étiquette « naturel » avait plus de valeur ajoutée pour les personnes interrogées que les autres items. Cet item renferme donc une pensée supplémentaire.

Tableau 4 : intérêt porté aux odeurs et saveurs des aliments
me
plaisent

sentent
bon

bon
goût

agréable
à voir

texture
agréable

me font du
Bien

aliments
de enfance

2,63

2,48

2,75

1,81

1,78

1,85

0,70

0,63

0,83

0,48

0,92

0,97

0,97

0,81

Parmi les 7 items concernant l’intérêt porté au odeurs et saveurs des aliments, c’est la hauteur de la note qui frappait avant tout : moyenne de 2,08 à 2,75 (max : 3).
La concordance entre items était plus faible (tableau 3). Il se dégageait deux groupes de questions : ce qui est bon : probabilité de concordance = 97,2 % (P < 0,0001) ;
la texture et l’aspect, moins côtés : concordance 87,1 % (P < 0,02). Le lien entre ces 2 groupes était faible : probabilité de concordance < 31 %.
Enfin, l’item « ils ressemblent aux bons aliments de mon enfance » n’était manifestement pas dans le même registre (taux de concordance : NS).
 
Tableau 5 : intérêt porté à des éléments de nature politique
Emballage
écologique

pays que
j’accepte politiquement

Indications claires
du pays d’origine

1,57

0,32

0,94

0,98

0,81

0,92

Parmi les 3 items connotant des pensées autour d’un aspect politique, aucune concordance n’était trouvée (P > 0,6).
L’intérêt était nettement plus marqué pour l’aspect « écologique de l’emballage ».
 

Tableau 6 : Pensées autour des repères et du stress

Soient
familiers

support
stress

aliments de
mon enfance

me font
bien

indic
pays origin

Aide à
me relaxer

affronter
la vie

mange
habitude

0,84

0,74

0,82

1,85

0,94

0,84

0,84

0,76

0,94

0,93

0,81

0,97

0,92

0,94

1,00

0,76

Neuf items avaient été imaginés pour rendre compte du besoin des personnes interrogées d’avoir des repères rassurants et lutter contre l’angoisse. De toute évidence, certains items étaient parfaitement concordants (concordance > 92 % (P < 0,001) : qu’ils soient familiers, qu’ils ressemblent aux aliments de mon enfance, qu’ils m’aident à me relaxer, à affronter la vie, à supporter les stress, qu’ils soient ce que je mange d’habitude.
En revanche, l’item « qu’ils me fassent du bien » ne s’inscrit pas dans la même pensée (concordance > 45 %).
Dans la pensée des étudiants interrogés, ceci recoupe un aspect sensoriel, comme on le verra plus loin. De plus, les étudiants interrogés accordent beaucoup plus d’importance (P < 0,01) à cet item (1,85, pour un maximum possible de 3) qu’à tous les autres (moyenne globale : 0,78).

Tableau 7 : Pensées autour de l’équilibre
Alerte éveillée

Me font du bien

Soient nourrissants

1,51

1,85

2,13

1,06

0,97

0,85

Enfin, certains items concernaient les aspects « Force et équilibre », « Santé » et « Diététique ».
Les résultats sont donnés dans les tableaux 7 à 9. On voit que les aspects « nourrissants », « me font du bien », « naturels », « me maintiennent en bonne santé » et « soient riches en vitamines et minéraux »sont bien plus importants que les autres items (P < 0,001).


Tableau 8 : Pensées vis à vis de la dimension Santé et diététique

Soient
naturels

pauvres en
graisses*

riches
fibres

Pas
additifs

pas ingrédient
chimique

en bonne
santé

bons pour
peau, dents

1,90

1,27

1,19

1,01

1,31

2,48

1,33

0,84

0,76

0,95

0,89

0,95

0,74

1,01

* Aspect « cholestérol » ; pas d’ingréd. = ne contiennent pas d’ingrédients « chimiques »

On voit qu’il était beaucoup plus important que les aliments maintiennent en bonne santé ou soient naturels qu’ils soient pauvres en graisses ou sans additifs.

Tableau 9 : Pensées vis à vis de l’aspect amaigrissant
Peu
caloriques

pauvres
graisses*

riches
fibres

contrôle
poids

Vit. et
minéraux

Riches en
protides

0,95

1,27

1,19

1,17

1,97

1,53

0,80

0,76

0,95

1,05

0,85

0,95

* Aspect « pondéral » ; Vit. et minéraux : soient riches en...

En revanche, dans cette population d’étudiants en médecine, l’aspect « hypocalorique » (3 items) parait nettement moins important que les autres.

2.1.2. Échelle des réponses :

Sans entrer dans les détails, l’échelle des réponses aux questions était satisfaisante, les étudiants utilisant toujours toutes les réponses possibles pour toutes les questions, de « pas du tout important » à « très important ».

2.1.3. Les sentiments vis à vis de l’alimentation :

Huit questions avaient trait aux sentiments éprouvés en réponse aux repas en général. Les réponses négatives à ces questions étaient « manger pour moi est désagréable », quand je pense aux repas, je me sens « enlaidi », « triste », « sombre », « bizarre », « tendu », « mal dans ma peau », « ces aliments je les refuse ». Et bien sûr, pour chaque question, il y avait le pendant positif. La somme de ces 8 questions donnait une moyenne de 6,1 + 7,8, pour un maximum possible de +24 et un minimum possible de -24. Cette somme était égale à zéro ou négative (sentiment global vis-à-vis de l’alimentation négatif) dans 23 % des cas.

3. Discussion

Cette étude a permis de construire un questionnaire utilisable en langue française pour estimer les pensées et sentiments autour de l’alimentation. La concordance des réponses aux questions de même sens ou valeur était bonne, voire excellente. La compréhension, au moins sur cette population étudiante, était très satisfaisante puisque très peu de sujets n’ont pas répondu à une question. La réponse au questionnaire est rapide, de l’ordre de 6 à 8 minutes, ce qui permettra de l’utiliser dans d’autres populations. Le pourcentage de réponses non renseignées était très faible.

fle64.gifQuelques points méritent discussion :

En premier lieu, l’item « naturel » ne paraissait pas représenter une pensée unique : il ne recouvre pas seulement l’idée d’additifs ou d’ingrédients chimiques. Le questionnaire ne permet pas d’en dire plus.

En 2ème lieu, l’aspect « santé », tel qu’indiqué par les questions ayant trait à la diététique, ne semblait pas avoir une grande importance dans cette population d’étudiants en médecine débutants, beaucoup plus attaché aux aspects sensoriels qu’aux aspects cognitifs : « c’est bon » leur parlait mieux que « c’est bon pour la santé ».

En 3ème lieu, il y avait une critique assez forte sur la qualité des aliments, notamment ceux servis hors foyer (restauration collective) : l’alimentation leur paraissait « peu novatrice », « peu révolutionnaire », « banale » et « de mauvaise qualité ». Néanmoins, cette assertion mérite d’être nuancée : les étudiants jugeaient peut-être aussi, par leur réponse à ces questions, la difficulté à s’alimenter dans leurs conditions de travail.

En 4ème lieu, l’aspect « pratique » et le caractère « bon marché » de l’alimentation étaient des demandes très importantes, bien plus que des aspects politiques, de santé ou de régime pour maigrir. On retrouvait aussi des notions connues : le petit déjeuner était omis dans 9 % des cas, de même que le déjeuner.
 
Publié en 2004